中法双语阅读资料:梦幻乌托邦
五月风暴:梦幻乌托邦 Mai 68, le rêve de l’utopie
1968 fut une année bouillonnante : Emeutes sur toute la planète, Martin Luther King assassiné, le printemps de Prague écrasé, et un mois de mai qui bouleversa la société française et appela l’imagination au pouvoir. Le cinéma à la suite d’un Godard ou d’un Truffaut fit aussi sa révolution. De « La Société du Spectacle » publié par Debord en 1967 au cinéma utopiste, il n’y a qu’un pas, franchi doublement par Guy Debord et Jean-Luc Godard, à la fois sur le plan du fond et de la forme. Le souffle de la révolte chez Godard est lancé avec le groupe Dziga - Vertov. Il suffit ainsi de feuilleter le press-book de La Chinoise d’août 1967 et d’y lire les prémices de ses idéaux cinématographiques synthétisées dans son « Manifeste ».
Ce manifeste se traduit dans La Chinoise , par la représentation « d’authentiques révolutionnaires, qui, s’ils n’ont pas encore de stratégie positive, s’ils ne savent pas exactement quelle société ils désirent », tentent, confinés dans leur appartement, de refaire le monde, en sachant très bien poser les problèmes en parlant de la réalité objective et non de (leurs) désirs subjectifs. Et plus loin, l’universitaire Annie Goldmann, épouse du grand philosophe Lucien Goldmann conclura que « Godard a dégagé avec beaucoup d’acuité les points essentiels que les événements de mai 1968 verront s’affirmer avec éclat. »
Cependant, en 1972, alors que Marin Karmitz réalisant avec Coup sur coup l’un des premiers films collectifs prônant l’occupation d’usines et la prise d’otage de patrons, signe là son dernier film et ne pourra plus jamais poursuivre une carrière de cinéaste, choisissant par la force des choses la production et la distribution sous un nouveau label bien connu maintenant, MK2, Godard avec Tout va bien quitte déjà le militantisme et retourne au film commercial en ayant pour objectif de toucher une audience mondiale par le biais de l’annonce d’une love story entre ses protagonistes interprétés par deux stars de l’époque : Yves Montant et Jane Fonda. Son vrai but : faire passer les idées marxistes-léninistes dont le vrai sujet est l’effet de la grève sur le couple et l’autocritique d’un cinéaste qui cherche à faire « son boulot d’intellectuel révolutionnaire », sans se couper du public, mais aussi sans se compromettre.
Bresson, en 1977, avec Le diable probablement tente, de son côté, de faire le point sur cette génération de mai 68 dont il veut être proche. Dans son ouvrage Le plaisir des yeux , Truffaut lui-même décelait dans le film une profonde foi en l’homme combattant malgré lui le vrai sujet : « c’est l’intelligence, la gravité et la beauté des adolescents d’aujourd’hui dont on pourrait dire après Cocteau que ‘l’air qu’ils respirent est plus léger que l’air’. »
Cette réflexion sur l’héritage « adolescent » de mai 68 sera poursuivie 25 ans après par le cinéaste Bernardo Bertolucci et ses Rêveurs (2003) traquant magnifiquement les utopistes, tandis qu’au tournant du troisième millénaire, Philippe Garrel, sur des accords de John Cale, nous livrera avec Le vent de la nuit (1999), une réalisation poétique apparaissant comme le revers d’un idéalisme incroyable, d’ailleurs en voie de disparition. Garrel continuera sur ce chemin avec son sublime Amants réguliers (2005) confirmant l’éclat de son talent et son véritable statut d’auteur, au sens où Truffaut le définissait quand il était critique aux Cahiers du cinéma .
La révolte de mai 68 a l’audace aussi de réveiller une réflexion sur les rapports hommes/femmes. La maman et la putain de Jean Eustache, qui fait scandale à Cannes en 1973 en remportant le Prix Spécial du Jury, reste un moment d’une intransigeance folle et démesurée où la frontière s’abolit entre la pudeur et l’impudeur, véritable brèche d’une société qui déjà a fait table rase des valeurs de mai 68.