法语小说阅读:三个火枪手(20)
Le chancelier alla porter la lettre au roi sans en avoir lu un seul mot. Le roi la prit d’une main tremblante, chercha l’adresse, qui manquait, devint très pale, l’ouvrit lentement, puis, voyant par les premiers mots qu’elle était adressée au roi d’Espagne, il lut très rapidement.
C’était tout un plan d’attaque contre le cardinal. La reine invitait son frère et l’empereur d’Autriche à faire semblant, blessés qu’ils étaient par la politique de Richelieu, dont l’éternelle préoccupation fut l’abaissement de la maison d’Autriche, de déclarer la guerre à la France et d’imposer comme condition de la paix le renvoi du cardinal : mais d’amour, il n’y en avait pas un seul mot dans toute cette lettre.
Le roi, tout joyeux, s’informa si le cardinal était encore au Louvre. On lui dit que Son Eminence attendait, dans le cabinet de travail, les ordres de Sa Majesté.
Le roi se rendit aussit t près de lui.
" Tenez, duc, lui dit-il, vous aviez raison, et c’est moi qui avais tort ; toute l’intrigue est politique, et il n’était aucunement question d’amour dans cette lettre, que voici. En échange, il y est fort question de vous. "
Le cardinal prit la lettre et la lut avec la plus grande attention ; puis, lorsqu’il fut arrivé au bout, il la relut une seconde fois.
" Eh bien, Votre Majesté, dit-il, vous voyez jusqu’où vont mes ennemis : on vous menace de deux guerres, si vous ne me renvoyez pas. A votre place, en vérité, Sire, je céderais à de si puissantes instances, et ce serait de mon c té avec un véritable bonheur que je me retirerais des affaires.
-- Que dites-vous là, duc ?
-- Je dis, Sire, que ma santé se perd dans ces luttes excessives et dans ces travaux éternels. Je dis que, selon toute probabilité, je ne pourrai pas soutenir les fatigues du siège de La Rochelle, et que mieux vaut que vous nommiez là ou M. de Condé, ou M. de Bassompierre, ou enfin quelque vaillant homme dont c’est l’état de mener la guerre, et non pas moi qui suis homme d’Eglise et qu’on détourne sans cesse de ma vocation pour m’appliquer à des choses auxquelles je n’ai aucune aptitude. Vous en serez plus heureux à l’intérieur, Sire, et je ne doute pas que vous n’en soyez plus grand à l’étranger.
-- Monsieur le duc, dit le roi, je comprends, soyez tranquille ; tous ceux qui sont nommés dans cette lettre seront punis comme ils le méritent, et la reine elle-même.
-- Que dites-vous là, Sire ? Dieu me garde que, pour moi, la reine éprouve la moindre contrariété ! elle m’a toujours cru son ennemi, Sire, quoique Votre Majesté puisse attester que j’ai toujours pris chaudement son parti, même contre vous. Oh ! si elle trahissait Votre Majesté à l’endroit de son honneur, ce serait autre chose, et je serais le premier à dire : " Pas de grace, Sire, pas de grace pour la coupable ! " Heureusement il n’en est rien, et Votre Majesté vient d’en acquérir une nouvelle preuve.
-- C’est vrai, Monsieur le cardinal, dit le roi, et vous aviez raison, comme toujours ; mais la reine n’en mérite pas moins toute ma colère.
-- C’est vous, Sire, qui avez encouru la sienne ; et véritablement, quand elle bouderait sérieusement Votre Majesté, je le comprendrais ; Votre Majesté l’a traitée avec une sévérité !...
-- C’est ainsi que je traiterai toujours mes ennemis et les v tres, duc, si haut placés qu’ils soient et quelque péril que je coure à agir sévèrement avec eux.
-- La reine est mon ennemie, mais n’est pas la v tre, Sire ; au contraire, elle est épouse dévouée, soumise et irréprochable ; laissez-moi donc, Sire, intercéder pour elle près de Votre Majesté.
-- Qu’elle s’humilie alors, et qu’elle revienne à moi la première !
-- Au contraire, Sire, donnez l’exemple ; vous avez eu le premier tort, puisque c’est vous qui avez soup onné la reine.
-- Moi, revenir le premier ? dit le roi ; jamais !
-- Sire, je vous en supplie.
-- D’ailleurs, comment reviendrais-je le premier ?
-- En faisant une chose que vous sauriez lui être agréable.
-- Laquelle ?
-- Donnez un bal ; vous savez combien la reine aime la danse ; je vous réponds que sa rancune ne tiendra point à une pareille attention.