法语阅读:追忆似水年华19
– Oh ! oui, la vie est une chose affreuse. Il faut que nous nous voyions, ma chre amie. Ce qu’il y a de gentil avec vous, c’est que vous n’tes pas gaie. On pourrait passer une soire ensemble.
– Mais je crois bien, pourquoi ne viendriez-vous pas Guermantes, ma belle-mre serait folle de joie. Cela passe pour trs laid, mais je vous dirai que ce pays ne me dplat pas, j’ai horreur des pays pittoresques >>.
– Je crois bien, c’est admirable, rpondit Swann, c’est presque trop beau, trop vivant pour moi, en ce moment ;c’est un pays pour tre heureux. C’est peut-tre parce que j’y ai vcu, mais les choses m’y parlent tellement. Ds qu’il se lve un souffle d’air, que les bls commencent remuer, il me semble qu’il y a quelqu’un qui va arriver, que je vais recevoir une nouvelle ;et ces petites maisons au bord de l’eau... je serais bien malheureux !
– Oh ! mon petit Charles, prenez garde, voil l’affreuse Rampillon qui m’a vue, cachez-moi, rappelez-moi donc ce qui lui est arriv, je confonds, elle a mari sa fille ou son amant, je ne sais plus ;peut-tre les deux... et ensemble !... Ah ! non, je me rappelle, elle a t rpudie par son prince... ayez l’air de me parler, pour que cette Brnice ne vienne pas m’inviter dner. Du reste, je me sauve. coutez, mon petit Charles, pour une fois que je vous vois, vous ne voulez pas vous laisser enlever et que je vous emmne chez la princesse de Parme qui serait tellement contente, et Basin aussi qui doit m’y rejoindre. Si on n’avait pas de vos nouvelles par Mm... Pensez que je ne vous vois plus jamais !
Swann refusa ;ayant prvenu M. de Charlus qu’en quittant de chez Mme de Saint-Euverte il rentrerait directement chez lui, il ne se souciait pas en allant chez la princesse de Parme de risquer de manquer un mot qu’il avait tout le temps espr se voir remettre par un domestique pendant la soire, et que peut-tre il allait trouver chez son concierge. Ce pauvre Swann, dit ce soir-l Mme des Laumes son mari, il est toujours gentil, mais il a l’air bien malheureux. Vous le verrez, car il a promis de venir dner un de ces jours. Je trouve ridicule au fond qu’un homme de son intelligence souffre pour une personne de ce genre et qui n’est mme pas intressante, car on la dit idiote >>, ajouta-t-elle avec la sagesse des gens non amoureux, qui trouvent qu’un homme d’esprit ne devrait tre malheureux que pour une personne qui en valt la peine ;c’est peu prs comme s’tonner qu’on daigne souffrir du cholra par le fait d’un tre aussi petit que le bacille virgule.
Swann voulait partir, mais au moment o il allait enfin s’chapper, le gnral de Froberville lui demanda connatre Mme de Cambremer et il fut oblig de rentrer avec lui dans le salon pour la chercher.
– Dites donc, Swann, j’aimerais mieux tre le mari de cette femme-l que d’tre massacr par les sauvages, qu’en dites-vous ?
Ces mots massacr par les sauvages >>percrent douloureusement le c?ur de Swann ;aussitt il prouva le besoin de continuer la conversation avec le gnral :
– Ah ! lui dit-il, il y a eu de bien belles vies qui ont fini de cette faon... Ainsi vous savez... ce navigateur dont Dumont d’Urville ramena les cendres, La Prouse...(et Swann tait dj heureux comme s’il avait parl d’Odette). C’est un beau caractre et qui m’intresse beaucoup que celui de La Prouse, ajouta-t-il d’un air mlancolique.
– Ah ! parfaitement, La Prouse, dit le gnral. C’est un nom connu. Il a sa rue.
– Vous connaissez quelqu’un rue La Prouse ? demanda Swann d’un air agit.
– Je ne connais que Mme de Chanlivault, la s?ur de ce brave Chaussepierre. Elle nous a donn une jolie soire de comdie l’autre jour. C’est un salon qui sera un jour trs lgant, vous verrez !
– Ah ! elle demeure rue La Prouse. C’est sympathique, c’est une jolie rue, si triste.
– Mais non ;c’est que vous n’y tes pas all depuis quelque temps ;ce n’est plus triste, cela commence se construire, tout ce quartier-l.
Quand enfin Swann prsenta M. de Froberville la jeune Mme de Cambremer, comme c’tait la premire fois qu’elle entendait le nom du gnral, elle esquissa le sourire de joie et de surprise qu’elle aurait eu si on n’en avait jamais prononc devant elle d’autre que celui-l, car ne connaissant pas les amis de sa nouvelle famille, chaque personne qu’on lui amenait, elle croyait que c’tait l’un d’eux, et pensant qu’elle faisait preuve de tact en ayant l’air d’en avoir tant entendu parler depuis qu’elle tait marie, elle tendait la main d’un air hsitant destin prouver la rserve apprise qu’elle avait vaincre et la sympathie spontane qui russissait en triompher. Aussi ses beaux-parents, qu’elle croyait encore les gens les plus brillants de France, dclaraient-ils qu’elle tait un ange ;d’autant plus qu’ils prfraient paratre, en la faisant pouser leur fils, avoir cd l’attrait plutt de ses qualits que de sa grande fortune.