法语小说阅读:三个火枪手(18)
La malheureuse reine, qu’on mena ait sans cesse de divorce, d’exil et de jugement même, palit sous son rouge et ne put s’empêcher de dire :
" Mais pourquoi cette visite, Sire ? Que me dira M. le chancelier que Votre Majesté ne puisse me dire elle-même ? "
Le roi tourna sur ses talons sans répondre, et presque au même instant le capitaine des gardes, M. de Guitaut, annon a la visite de M. le chancelier.
Lorsque le chancelier parut, le roi était déjà sorti par une autre porte.
Le chancelier entra demi-souriant, demi-rougissant. Comme nous le retrouverons probablement dans le cours de cette histoire, il n’y a pas de mal à ce que nos lecteurs fassent dès à présent connaissance avec lui.
Ce chancelier était un plaisant homme. Ce fut Des Roches le Masle, chanoine à Notre-Dame, et qui avait été autrefois valet de chambre du cardinal, qui le proposa à Son Eminence comme un homme tout dévoué. Le cardinal s’y fia et s’en trouva bien.
On racontait de lui certaines histoires, entre autres celle-ci :
Après une jeunesse orageuse, il s’était retiré dans un couvent pour y expier au moins pendant quelque temps les folies de l’adolescence.
Mais, en entrant dans ce saint lieu, le pauvre pénitent n’avait pu refermer si vite la porte, que les passions qu’il fuyait n’y entrassent avec lui. Il en était obsédé sans relache, et le supérieur, auquel il avait confié cette disgrace, voulant autant qu’il était en lui l’en garantir, lui avait recommandé pour conjurer le démon tentateur de recourir à la corde de la cloche et de sonner à toute volée. Au bruit dénonciateur, les moines seraient prévenus que la tentation assiégeait un frère, et toute la communauté se mettrait en prières.
Le conseil parut bon au futur chancelier. Il conjura l’esprit malin à grand renfort de prières faites par les moines ; mais le diable ne se laisse pas déposséder facilement d’une place où il a mis garnison ; à mesure qu’on redoublait les exorcismes, il redoublait les tentations, de sorte que jour et nuit la cloche sonnait à toute volée, annon ant l’extrême désir de mortification qu’éprouvait le pénitent.
Les moines n’avaient plus un instant de repos. Le jour, ils ne faisaient que monter et descendre les escaliers qui conduisaient à la chapelle ; la nuit, outre complies et matines, ils étaient encore obligés de sauter vingt fois à bas de leurs lits et de se prosterner sur le carreau de leurs cellules.
On ignore si ce fut le diable qui lacha prise ou les moines qui se lassèrent ; mais, au bout de trois mois, le pénitent reparut dans le monde avec la réputation du plus terrible possédé qui e t jamais existé.
En sortant du couvent, il entra dans la magistrature, devint président à mortier à la place de son oncle, embrassa le parti du cardinal, ce qui ne prouvait pas peu de sagacité ; devint chancelier, servit Son Eminence avec zèle dans sa haine contre la reine mère et sa vengeance contre Anne d’Autriche ; stimula les juges dans l’affaire de Chalais, encouragea les essais de M. de Laffemas, grand gibecier de France ; puis enfin, investi de toute la confiance du cardinal, confiance qu’il avait si bien gagnée, il en vint à recevoir la singulière commission pour l’exécution de laquelle il se présentait chez la reine.
La reine était encore debout quand il entra, mais à peine l’eut-elle aper u, qu’elle se rassit sur son fauteuil et fit signe à ses femmes de se rasseoir sur leurs coussins et leurs tabourets, et, d’un ton de suprême hauteur :
" Que désirez-vous, Monsieur, demanda Anne d’Autriche, et dans quel but vous présentez-vous ici ?
-- Pour y faire au nom du roi, Madame, et sauf tout le respect que j’ai l’honneur de devoir à Votre Majesté, une perquisition exacte dans vos papiers.
-- Comment, Monsieur ! une perquisition dans mes papiers... A moi ! mais voilà une chose indigne !
-- Veuillez me le pardonner, Madame, mais, dans cette circonstance, je ne suis que l’instrument dont le roi se sert. Sa Majesté ne sort-elle pas d’ici, et ne vous a-t-elle pas invitée elle-même à vous préparer à cette visite ?
-- Fouillez donc, Monsieur ; je suis une criminelle, à ce qu’il para t : Estéfania, donnez les clefs de mes tables et de mes secrétaires. "